Retour sur événement : Rencontres « Territoires et Véhicules Autonomes »
Les rencontres « Territoires et Véhicules Autonomes : un nouveau paradigme » se sont tenues à l’IMREDD ce jeudi 30 novembre 2023. Elles ont réuni une pluralité d’intervenants des entreprises, des collectivités mais aussi du monde académique tous animés par la volonté d’innover et d’expérimenter de nouvelles mobilités dans une perspective de développement durable. Des mobilités incarnées par des véhicules autonomes électriques pour contribuer à la décarbonation de la filière et réduire l’impact environnemental ; des véhicules autonomes partagés pour répondre à la problématique de l’augmentation de la population en ville (et à son besoin de mobilité) mais aussi à des problématiques sociales liées au vieillissement de la population et au désenclavement des territoires.
Les intervenants ont partagé leur expérience, les résultats et les difficultés rencontrés au travers des expérimentations qu’ils ont menées. D’après Pierre Revet Servettaz, Conseiller municipal délégué au numérique et nouvelles technologies à la Ville de Mandelieu-La Napoule, « des témoignages pertinents et enrichissants » qui montrent les progrès accomplis depuis les prémisses des véhicules autonomes en 2010 et, selon Pierre-Jean Barre, consultant senior, ancien directeur de l’IMREDD, « le chemin qu’il reste encore à parcourir pour mettre en production une flotte de navettes autonomes est encore long ».
Pour tracer ce chemin, Université Côte d’Azur et sa Fondation partenariale ont mis en place une Chaire intitulée « Territoires et navettes autonomes » adossée à la plateforme technologique Smart City Innovation Center de l’IMREDD. Pour Paulo Moura, Directeur adjoint de l’innovation « la Chaire offre un espace pour approfondir la recherche, partager des connaissances spécialisées et contribuer de manière significative au progrès académique dans le domaine du développement territorial intégrant la mobilité intelligente et durable dans un contexte aussi varié que la ville dense jusqu’au village du haut pays ».
En ouvrant ces rencontres, le Président du Département Charles-Ange Ginesy a présenté de belles perspectives de développement du véhicule autonome dans les Alpes Maritimes s’appuyant sur les résultats des premiers cas d’usages soutenus et financés sur le territoire. Carros, zone d’activités économiques, pilote du programme « Territoires d’industrie » cherche à développer des services de mobilité adaptés aux besoins des salariés de la zone explique Marc Raiola, Président du Club des entreprises de Carros Le Broc. Mandelieu la Napoule, site balnéaire souhaite développer de nouveaux services sur le bord de mer répondant aux besoins des habitants et des estivants. Cannes, site d’évènementiel international ambitionne de répondre aux problématiques de déplacements des visiteurs et aux liaisons port-hôtels-ville. Enfin Valberg, station de montagne 4 saisons vise à développer des solutions d’écotourisme permettant un accueil et un séjour de qualité à tous les visiteurs et les résidents commente Philippe Legrand, Directeur des services techniques de Valberg.
Dans chacun de ces cas les ingénieurs de l’IMREDD, Julie Josse, Mehdi Nafkha, Paul Daelman, apportent leur expertise, à partir d’une analyse à 360°, pour mieux comprendre les besoins de l’usager, de l’entreprise et du territoire à travers quatre dimensions : la mobilité, la qualité de vie, l’attractivité et l’espace, enfin les activités économiques et les services. En s’appuyant sur la collecte de données, l’analyse permet d’établir un modèle et de simuler des scénarios intégrant le comportement des acteurs, point de départ de l’expérimentation de véhicules autonomes et de services. Les tests réalisés permettent ensuite de préciser les impacts et d’estimer la rentabilité des cas d’usage, une analyse menée par une autre ingénieure de l’IMREDD, Claire Lasserre. Les impacts sont caractérisés à différentes échelles : collective au sens de renforcement des proximités territoriales ; culturelle en ce qui concerne la valorisation des dynamiques locales ; sociale, du point de vue du renforcement du lien social entre les habitants ; environnementale en termes d’aménagement durable du territoire ; économique enfin en matière de contribution à l’attractivité territoriale. Différents paramètres sont ainsi examinés : pollution des voitures, maladies cardio-respiratoires, réduction du nombre de places de parking, nuisance sonore, stress du conducteur, accidentologie , …permettant de définir un modèle économique (cout/bénéfice) propre à chaque cas d’usage du véhicule autonome.
L’avenir du véhicule autonome se dessine donc avec le transport en commun mais aussi avec la logistique. Par exemple, dans le cadre du programme Démonstrateur de la Ville Durable, une navette autonome équipée de casiers pourra expérimenter la livraison du dernier kilomètre entre le Parc d’Activités Logistiques Saint Isidore et le quartier Parc Meridia, explique Franck Cannata, Gérant du groupe Transcan.
Les rencontres ont permis de mettre ces expérimentations locales en perspective d’autres en cours et passées sur le territoire comme par exemple, dans le cadre du projet ENA, sur la technopole de Sophia Antipolis pour desservir les entrées des entreprises au sein de chaque îlot ou à Cœur de Brenne, territoire rural, pour relier cinq communes et faciliter l’accès aux services de leurs concitoyens. Ces expérimentations ont permis de valider des cas critiques techniques, organisationnels ou humains, de tester l’acceptabilité et l’acceptation sociétale, la sécurité et notamment la sécurité perçue et également de partager les savoirs avec la société et le grand public. Sylvie Ponthus, directrice adjointe mobilité déplacements transports de la CASA commente l’usage encore prématuré d’intégration d’une navette autonome sur l’espace public au milieu des autres véhicules, sans opérateur à bord et la nécessité d’innover en accompagnement de changement de comportement de mobilité. Jean-Bernard Constant, Responsable numérique de la Communauté de Communes de Cœur de Brenne insiste sur la nécessaire adhésion des mairies , des services et des associations du territoire, invite à repenser l’aménagement du territoire et les routes du futur (largeur et couverture 4G), recommande de travailler sur l’intermodalité, de s’articuler avec les services de mobilité existants, le covoiturage et la mobilité douce, de disposer de plus de véhicules avec une plus faible capacité, d’adapter les horaires aux besoins, d’augmenter le nombre d’arrêts sur chaque commune. Enfin, il souligne le rôle de la navette comme lien social entre les communes.
Sur le territoire de la Métropole Aix-Marseille-Provence, le projet « The Camp Demoiselle » a expérimenté auprès des entreprises et organisations de la zone d’activité de la Duranne un service de navette électrique autonome entre la Gare Aix-TGV et le Campus de l’Arbois avec quelques points d’arrêts intermédiaires. Le projet visait, à renforcer la connaissance de ce type de véhicule innovant – la Demoiselle, une navette collective électrique quasi-autonome qui fonctionne grâce à l’intelligence artificielle – pour trouver des solutions d’avenir alternatives crédibles et attractives à la voiture individuelle en zone périurbaine. Un point est ressorti de l’étude « d’acceptabilité » menée par the Camp : le public ne semble pas prêt à se priver de la présence rassurante d’un chauffeur, sauf quand il s’agit de créer un service nouveau : mieux prévenir les incendies dans les collines, desservir des zones rurales ou diffuses… explique Michel Gonzales, responsable du projet.
Keolis, opérateur de transport et leader mondial de la mobilité partagée a mis en œuvre plus de 55 déploiements de véhicules autonomes dans le monde. A Saint-Quentin en Yvelines, c’est une première expérimentation avec engagement de performance qui a été opérée : une délégation de service public pour une ligne de véhicules autonomes intégrée au réseau de transports entre la gare et plusieurs zones d’emplois du secteur, un parcours ambitieux sur route ouverte avec de vraies complexités. L’expérimentation s’est avérée concluante en termes de prestation générale explique Clémentine Barbier, Responsable Mobilités Autonomes mais avec un niveau de fréquentation en deçà de l’attendu. L’expérimentation a néanmoins permis de développer de nouveaux outils pour mesurer, objectiver et optimiser le service : un outil de Fleet Management System (FMS) destiné à récupérer les données transitant par les APIs des véhicules autonomes pour les transformer en indicateurs de service ; une application de comptage et reporting pour les opérateurs ; une actualisation en temps réel des arrivées en station dans les outils Ile-de-France Mobilités.
Sur son site d’essai des mobilités autonomes (SEMA), Keolis a expérimenté au cours des 6 dernières années des navettes autonomes de niveau 3 (classification définissant un moyen de transport semi-autonome, permettant au conducteur de « lâcher le volant » dans certaines situations présentant peu de risques par exemple : bouchons, parkings). Notre stratégie se fonde sur 4 piliers explique Clémentine Barbier : la sécurité, le service, l’évolution des compétences, l’acceptabilité sociale. Du point de vue de la sécurité, Keolis offre un banc de test opérateur au centre national de tir sportif de Chateauroux ciblant le transport des athlètes et les roulages en transport à la demande sans opérateur à bord. S’agissant du service, Keolis s’engage sur des cas d’usages plus complexes pour challenger la technologie : campus universitaire, site rural, centre-ville piéton, aéroports, centres commerciaux, hôpitaux, sites industriels, etc. Concernant l’évolution des compétences, Keolis travaille main dans la main avec les conducteurs sur les questions de maintenance, de design de service, de supervision des véhicules de niveau 4 (conduite entièrement automatisée). Enfin s’agissant de l’acceptabilité sociale des services de mobilité autonome, Keolis travaille en lien avec toutes les parties prenantes : autorités organisatrices de mobilité, opérateurs de transport public et passagers s’intéressant au service perçu en utilisant les feedbacks pour améliorer l’expérience passager.
Les rencontres ont enfin permis de faire un point sur les difficultés techniques à surmonter pour, dans l’avenir, déployer à grande échelle les véhicules autonomes. L’anticipation des comportements des autres usagers constitue une première contrainte. En cause, l’insuffisance des distances de détection voire l’impossibilité de la détection dans certaines conditions auxquelles s’ajoute la difficulté à cartographier l’environnement en haute définition. Parmi les autres contraintes l’interprétation de la situation par l’intelligence artificielle, la complexité des schémas de prise de décision ou encore la protection des données collectées pour prévenir d’éventuelles cyberattaques. Autant de questions sur lesquelles travaillent des chercheurs comme Massimiliano Lenardi, responsable du centre R&D européen HITACHI et Rémy Sun, Chercheur de l’équipe Models and Algorithms for Artificial Intelligence (MASSAI) à l’Inria. L’investissement dans la R&D doit dès lors se poursuivre pour rendre possible l’avenir des véhicules autonomes.